Bergman et sa muse :
Liv Ullmann a joué dans onze films du maître suédois Ingmar Bergman. Elle tient une nouvelle fois le haut de l'affiche dans L'Oeuf du serpent. Leur histoire commune a démarré en 1966 avec le superbe Persona qui est le premier long métrage important de l'actrice norvégienne. Leur collaboration s'étalera donc sur presque quarante ans avec notamment Cris et chuchotements, Scènes de la vie conjugale, Sonate d'automne et Saraband.
On achève bien les chevaux :
Ingmar Bergman avait prévu de montrer un cheval se faire tuer à l'écran afin de souligner le désespoir qui frappait la population allemande durant la crise de 1923 sous la République de Weimar. David Carradine a menacé de quitter le tournage du film si Bergman ne revenait pas sur sa décision. Finalement, le cheval a été tué hors caméra mais le corps apparaît tout de même dans le film. Cela rappelle l'histoire qui avait entouré le départ de John C. Reilly du tournage de Manderlay (Lars von Trier). L'acteur n'avait pas apprécié qu'un âne, condamné à mourir, soit tué pour les besoins du film. Il avait alors était remplacé par Zeljko Ivanek. Dans le montage du film, la fameuse scène n'avait finalement pas été conservée.
Autour du film :
C'est la première fois que Bergman accepte de tourner en anglais ; jusque là il avait toujours refusé les films proposés par Hollywood que parce qu'on lui imposait des scénarios qu'ils n'avait pas écrit lui-même. La proposition lui est faite alors que Bergman est poursuivi par le fisc suédois pour fraude fiscale : c'est son ami Dino de Laurentiis (producteur de son film précédent, Face à Face) qui, avec Horst Wendlandt, lui donne beaucoup d'argent pour réaliser "le film de ses rêves". Bergman tournera ainsi sa seule superproduction dans les mêmes décors que Berlin Alexanderplatz de R. W. Fassbinder. Eprouvé par la médisance qui a caractérisé le traitement médiatique de son exil fiscal, Bergman s'inspire de cette expérience pour mieux décrire le climat délétère qui règne dans une Allemagne en pleine confusion, à l'ambiance irréelle, peuplée d'une foule hagarde et inhumaine (une scène montre des passants découpants un cheval à mains nues dans la rue, en pleine nuit), presque sous hypnose : c'est celle qui allait porter Hitler à sa tête quelques années plus tard. Lui qui avait souvent flirté avec l'expressionnisme (dans L'heure du loup notamment), Bergman s'essaye ici au film allemand des années 20 à la manière de Fritz Lang ; peu habitué à la reconstitution historique, il s'agit pour lui de l'un de ses films les plus politiques (l'un des seuls également), réalisé alors même que l'Allemagne s'est reconstruite sur une séparation de fait entre RDA et RFA depuis l'après-guerre. L'œuvre fait donc écho à l'histoire qui se construit, en présentant une Allemagne double, ruinée par la guerre en 1923, prompte à revenir à la vie mais vivant une période trouble, double, étrange, que souligne jazz d'après-guerre insouciant qui rappelle les grandes villes européennes et américaines mais qui ici introduit paradoxalement les foules grises, immobiles et ternes du générique de début.